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Katelle Le Guillou : "nos prix d'acquisition des actifs tertiaires ont baissé, donc la négociation joue en notre faveur"
Juliette Kinkela
Début octobre, Katelle Le Guillou a été reconduite au poste de directrice générale de la Foncière de transformation immobilière. Cette filiale du groupe Action Logement créée en 2020 compte à ce jour 12 opérations livrées, soit 1 166 logements issus de la transformation d'actifs économiques obsolètes en immeubles résidentiels. De plus, 71 opérations sont en cours de développement, soit 7 240 logements dans les tuyaux au sein des zones tendues de l'hexagone. Ce nouveau mandat est l'occasion pour Katelle Le Guillou d'accélérer la massification d'une filière entravée par de multiples freins, alors même que des millions de m² de bureaux sont vides et que la crise du logement ne faiblit pas. Problématiques techniques et réglementaires, montage opérationnel, solvabilisation des ménages, propriétaires réticents... La directrice générale détaille les défis à relever.
Katelle Le Guillou, directrice générale de la Foncière de transformation immobilière © FTI
Vous venez d'être reconduite pour 3 années supplémentaires au poste de directrice générale de la Foncière de Transformation Immobilière (FTI). Sur quels sujets mettrez-vous l’accent ?
Mon objectif est de poursuivre l'activité de portage et de démembrement de la FTI afin de nous attacher collectivement à produire du logement en zones tendues. La FTI a déjà livré 12 opérations, soit 1 166 logements, et développe actuellement 71 opérations, soit 7 240 logements. Mon ambition est aussi d’entretenir les liens avec nos partenaires essentiels que sont les collectivités territoriales, mais aussi d'en développer de nouveaux avec les autres. C’est l'une des raisons pour lesquelles je continuerai d’œuvrer pour la reconnaissance de la filière de la transformation. La FTI a déjà participé activement à sa structuration. Il faut désormais massifier la transformation. Enfin, il s’agit de penser et d’adapter la FTI de demain qui devra continuer d’être une entreprise durable, ancrée dans les territoires et au plus proche de leurs besoins. Œuvrer chaque jour au service du lien emploi-logement, c'est aussi ce qui nous définit.
L'implantation géographique est-elle le critère numéro 1 pour initier un projet ?
L'actif doit correspondre à certaines caractéristiques techniques, juridiques et financières. Nous demandons à nos équipes de rechercher des actifs situés dans de grandes métropoles, donc en zone tendue et à proximité des aménités urbaines. Nous nous concentrons aussi sur des villes qui ont un taux SRU faible comme La Garenne-Colombes et Courbevoie. Ces villes sont particulièrement intéressantes car il y a peu de logements sociaux, mais aussi parce que ces territoires ont accueilli des immeubles de bureaux qui sont en train de muter aujourd’hui. Nous avons par exemple beaucoup plus de mal à opérer sur le territoire de Plaine Commune. Le coût de l'actif et le coût de la transformation sont trop élevés si on les rapproche du critère de solvabilisation des ménages.
Quels paramètres pourraient permettre de changer la donne pour les territoires les plus populaires ?
Il nous faut une profondeur de marché pour pouvoir sécuriser les investisseurs qui vont réaliser l'opération de transformation. Comme nous développons des programmes à dominante résidentielle comprenant une part de logement social abordable, nous avons parfois besoin d'ajouter une part de logements libres ou de bureaux, de commerces ou d'activités hôtelières. Notre modèle repose donc aussi sur une recréation de valeur, généralement sur une durée longue allant de 50 à 60 ans. En outre, l'acquisition de l'actif doit représenter 30% du prix de revient de l'opération de transformation pour convaincre les opérateurs et les bailleurs sociaux de nous rejoindre dans le cadre d’un démembrement.
Qu'en est-il des pré-requis en termes techniques ?
Nous allons vers des actifs qui présentent une forme d'obsolescence commerciale et/ou technique, sinon le propriétaire ne vend pas. Nous regardons aussi la profondeur des bâtiments pour que les logements soient bien éclairés. Nous observons aussi les hauteurs de dalle pour pouvoir faire passer tous les réseaux en faux plafond ou au niveau du plancher. Nous cherchons également des actifs qui vont faire 3 500 m² de surface minimale parce qu'en deçà, les coûts de transformation ne rendent pas l'opération économiquement viable. Avec 3 500 m², nous pouvons réaliser environ 50 logements familiaux ou 100 logements en résidences gérées. L’idéal est en tout cas d’avoir 50 % de la programmation en logement abordable dans toute sa déclinaison. Cela peut être du logement locatif social, du logement géré étudiant social ou du logement jeune actif, des pensions de famille, des centres d’hébergement et de réinsertion sociale ou encore du BRS. On peut faire de tout !
Les collectivités ont-elles un rôle à jouer dans ces choix ?
Nous étudions le PLU pour comprendre les besoins de la collectivité. Parfois, nous pouvons acheter un bien en ayant convenu avec elle de la modification ou de la révision prochaine du PLU, ce qui va nous permettre de réaliser l'opération. Nous irons toujours discuter avec la collectivité avant de faire une offre d'acquisition d'actif. Parfois, le maire nous propose de faire évoluer un projet parce qu'il a un besoin que nous n'avions pas identifié. A ce moment-là, nous ajustons le projet avec lui tout en maintenant le dialogue avec le ou les propriétaires, ainsi qu'avec les opérateurs pour que la programmation et son calendrier conviennent à chaque partie.
Le nombre de propriétaires détenant un même bien peut-il influencer vos choix d'acquisition ?
Nous préférons un bien en monopropriété. Nous ne nous engageons pas sur une opération qui comprend plus de 3 propriétaires parce que mettre tout le monde d'accord peut prendre beaucoup de temps. Avant la promulgation de la loi Daubier, en juin 2025, il nous fallait l'unanimité pour obtenir un changement d'usage dans une copropriété. Maintenant, elle se fait à la majorité simple. Par contre, la loi n’est pas allée au bout. Les règles de vote pour les travaux dans les parties communes sont à revoir car nous ne sommes pas encore à la majorité simple.
Quelles sont vos marges de manoeuvre lorsque des locataires sont toujours en place ?
Lorsqu’il y a des locataires présents, il y a forcément des évictions commerciales à opérer. Généralement, nous évitons au maximum ce genre de situation. Mais quand l'actif est véritablement intéressant et que nous percevons des facilités, nous engageons des accords préliminaires avec les preneurs pour bien identifier les indemnités d'éviction et les mettre en œuvre.
Existe-il des actifs auxquels vous ne vous intéressez pas du tout ?
Au démarrage de la foncière, nous regardions de près la transformation de garages, notamment à Paris. On s'est rendu compte que ce sont des actifs très coûteux à faire évoluer du fait des demi-rampes, des épaisseurs des bâtiments et des ouvertures à créer dans les bâtiments pour apporter de la lumière. La reprise de gros œuvre, en plus d'être très importante, génère beaucoup de déchets. Nous irons moins vers ce genre de transformation dans le futur.
Mais nous poursuivons celles lancées : nous avons obtenu un permis purgé pour une opération avec Paris Habitat située au 43 rue La Borde, dans le 8ème arrondissement de Paris. Le garage est composé d’une très belle façade que l'on va préserver. Nous y construirons 18 logements et un commerce sur 1 214 m². Nous nous engagions sur des opérations beaucoup plus petites à l’époque.
Nous travaillons aussi actuellement à l’acquisition d’une clinique, leurs activités ayant été beaucoup restructurées. Les propriétaires d'établissements hospitaliers qui nous connaissent viennent nous voir directement. Nous recevons énormément de dossiers pour tout type de bâtiments, surtout pour les bureaux vacants depuis plus de 2 ans.
Comment déterminez-vous la juste valeur des actifs obsolètes que vous rachetez ?
Nous menons tout un travail d'analyse juridique, financière, technique et fiscale pendant 3 mois. C'est ce qui nous permet d'objectiver la valeur d'un actif au-delà des expertises déjà menées par le propriétaire. La difficulté de la pratique, c'est le partage des bilans, de manière transparente et entre chaque opérateur, afin de trouver un équilibre pour chacun. Ce sont ces éléments là qui nous permettent vraiment de confirmer la valeur de l'actif. Nous changeons un peu les méthodes des opérateurs à ce niveau.
Disposez-vous de toutes les compétences en interne au sein de la FTI ?
Nous sommes une trentaine à travailler au sein de la Foncière. Nous avons des responsables développement-montage qui sont des ingénieurs ayant une formation immobilière. Ce sont eux qui vont sourcer l'opération dès l'origine et l'amener jusqu'au bail à construction. Il y a également la direction juridique à laquelle s’ajoutent deux études notariales qui travaillent à nos côtés. La Foncière se compose aussi d’une direction financière et d’une direction technique. Un asset manager est également là pour analyser les coûts de portage pendant toute la durée de détention de l'actif, les coûts de sécurisation et traiter tout ce qui concerne l’éviction commerciale. Et lorsque nous faisons face à un pic d’activités ou à des questions très pointues, nous lançons des accords-cadres à destination d’architectes et de bureaux d'études.
Vous avez évoqué le bail à construction. Dans quel cadre l'utilisez-vous ?
Au moment où nous achetons l'actif, nous signons concomitamment une promesse de bail à construction avec les opérateurs de logements abordables. L'actif reste propriété de la FTI, mais l'opérateur de logement social ou intermédiaire est autorisé à réaliser les travaux de transformation et à exploiter les logements pendant une durée de 50 à 60 ans, ce qui va lui permettre de parvenir à un équilibre financier. Avec les promoteurs, nous signons des promesses synallagmatiques de vente sur des volumes ou sur des lots de copropriétés. Ils revendront, dans un second temps, les logements à des acquéreurs particuliers ou à des investisseurs.
Nous récupérons donc les logements des bailleurs sociaux à la fin de la période de bail, mais pas ceux des promoteurs qui ont déjà été vendus en Vefa à des particuliers ou à des investisseurs en bloc. Nous savons faire vivre ces deux ensembles sur un même tènement foncier. C'est pour cela qu'il y a un montage foncier via un bail à construction pour les bailleurs sociaux et via un acte de vente pour les promoteurs. L'avantage pour le bailleur social, c'est que le dispositif va lui permettre de faire une économie sur le prix d'acquisition de l'actif. Nous ne lui demanderons que 50% de la valeur de l'actif qui correspond à sa part. Par contre, aux promoteurs ou aux investisseurs, nous vendons à l'euro près, auquel s’ajoutent les frais de portage de la FTI. Mais les coûts ne sont pas considérables non plus.
Vos montages semblent rôdés. Une massification de la transformation est-elle d'ores et déjà à l'oeuvre ?
Nous avons remarqué qu’entre l’année de création de la FTI, en 2020, et aujourd'hui, nos prix d'acquisition des actifs tertiaires ont baissé, donc la négociation joue en notre faveur. En outre, les propriétaires font davantage d'arbitrages. Bien qu'ils aient acheté des actifs de bureaux à des prix en lien avec le loyer tertiaire projeté, plus élevé qu'un loyer résidentiel, ils acceptent aujourd'hui une baisse de la valeur proposée. Tout cela aide la massification.
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Les deux groupes de travail missionnés par l'ancienne ministre du Logement Valérie Létard pour faciliter la transformation des bureaux en logements viennent de rendre leurs conclusions. Quel a été votre apport ?
Nous avons été auditionnés dans le cadre du premier rapport qui portait sur les évolutions réglementaires pour pouvoir faciliter la réversibilité des actifs et leur transformation. Le deuxième rapport, qui concerne principalement le modèle économique et le financement de la transformation, nous le connaissons bien mieux car il a notamment été animé par Nadia Bouyer, directrice générale d'Action Logement Groupe. La FTI étant la foncière du groupe, nous avons pu donner nos retours d'expérience et faire part de nos besoins. Nous avions fait remonter le sujet des copropriétés, notamment sur les coûts travaux dans les parties communes. Les rapporteurs s'en sont saisis et nous les en remercions.
Quelles propositions ont retenu votre attention ?
Il y a eu une dizaine de propositions présentées, notamment sur la création d’un nouveau régime fiscal ad hoc, entre la Vefa et la vente d'immeubles à rénover (VIR), pour la vente d'immeubles à transformer (VIT). Il se trouve que nous intervenons systématiquement sur des façades vitrées. Pour créer une intimité et avoir des ouvertures qui correspondent à du logement, il nous faut systématiquement déposer la façade et la retravailler. Ce sont des travaux nécessaires mais qui nous excluent de la VIR.
Les rapporteurs ont aussi proposé d'instaurer une valeur de transformation pour les immeubles tertiaires vacants à plus de 70% pendant 2 ans. Ces actifs subissent un double perte, économique avec l'absence de revenus, et technique car le bâtiment n'est pas exploité. Pourtant, aucune obligation d'expertise ne reflète cette dépréciation. Proposer une valeur de transformation permettra d'intégrer, dans l'expertise comptable, la valorisation alternative en logements, et ainsi inciter les propriétaires à la reconversion. C'est aussi un bon moyen de lutter contre le gel d'actifs et contre la spéculation sur l'immobilier tertiaire.
Il a aussi été proposé de créer des foncières de transformation bénéficiant de dispositifs fiscaux adaptés. Ces derniers permettraient notamment à des sociétés détenant des actifs, notamment les SCPI, de pouvoir modifier leur mode de fonctionnement. Aujourd'hui, une SCPI est limitée par les plafonds de travaux, les cessions restreintes, une fiscalité défavorable et une non-compensation des moins-values. Cela ne les aide pas à vendre leurs actifs.
Les rapporteurs ont en outre proposé de tenir compte uniquement de la surface de plancher et de l'emprise au sol nette pour l'évaluation environnementale. Nous détenons parfois des actifs totalisant entre 10 000 et 40 000 m² sur lesquels le site entier est imperméabilisé. Mais on nous demande quand même de réaliser des études environnementales.
Dernier exemple avec la demande de réforme de la taxe foncière applicable aux opérations de transformation pour encourager les maires à transformer. Durant la phase travaux, en démolition et en reconstruction, les propriétaires sont exonérés de la taxe, mais pas lors d'une opération de transformation.
Le modèle de la FTI a-t-il vocation à être répliqué ?
Tout le monde voudrait créer sa foncière de transformation parce que la FTI fonctionne très bien. Il y a plein d'idées qui émergent aujourd'hui. Certains avancent l’idée de créer une foncière dédiée au quartier d’affaires de La Défense par exemple. Pourquoi pas, mais il faut être conscient du fait que ces sujets demandent de réelles compétences. De plus, les rendements des opérations de transformation ne sont pas encore au rendez-vous pour intéresser les investisseurs.
Intervenez-vous sur le quartier d'affaires de La Défense ?
Pas à La Défense même, plutôt autour sur Nanterre et Courbevoie. A La Défense, il y a le sujet des copropriétaires multiples, et ce, sur différents niveaux de bâtiments, de dalles et de voies. C'est une imbrication juridique assez complexe. En outre, un certain nombre d’immeubles de bureaux sont des IGH qui sont très difficiles à transformer pour des raisons techniques et commerciales. Nous avons été auditionnés dans le cadre des États généraux de la transformation des tours et nous restons à l'écoute.
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Propos recueillis le 3 octobre 2025 par Juliette Kinkela.

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