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14 novembre 2019

Opérations d'aménagement : “Confronter dès le départ les intentions à la réalité des coûts”

Les facteurs économiques des opérations d’aménagement sont rarement pris en compte aussi finement qu’ils le devraient en amont. Au final, que la variable d’ajustement soit la charge foncière, le coût de construction ou les prix de vente des logements, il y a toujours un perdant. Le consultant en programmation Laurent Escobar et l’architecte et urbaniste Claire Schorter ont sur la question des points de vue convergents : il faut établir la vérité des coûts le plus tôt possible pour maîtriser la qualité du projet.

 

Propos recueillis par Jeanne Bazard - octobre 2019

Claire Schorter - DR

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Laurent Escobar - source CVA

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Vous défendez l’idée que tous les déterminants économiques d’une opération d’aménagement devraient être posés et partagés en amont entre le maître d’ouvrage et les concepteurs. Pourquoi ?
Claire Schorter. En tant qu’urbaniste, nous tendons à prescrire tout ce qui fait la qualité, la diversité et la durabilité de la ville. La logique des consultations conduit les promoteurs à respecter ces prescriptions avec zèle, non sans une certaine surenchère parfois. Puis vient le moment quasi inévitable où les architectes des promoteurs viennent nous dire qu’ils ne pourront finalement pas construire les projets conformément aux fiches de lot, parce que cela entraîne des coûts de construction supérieurs à l’enveloppe fixée par leur maître d’ouvrage. C’est absurde, car il faut alors soit reprendre le projet urbain et ses ambitions, soit déshabiller les projets immobiliers, avec les frustrations et le gaspillage de temps et d’énergie qui vont avec. Il serait bien préférable de confronter au départ les intentions architecturales, environnementales… à la vérité des coûts et des bilans, mais les maîtres d’œuvre restent le plus souvent en dehors de ces débats.

Laurent Escobar. Cette vérité des coûts est en effet essentielle. Certains aménageurs ont beaucoup progressé dans cette voie, mais le sujet est complexe car il faut maîtriser trois variables : la charge foncière, qui intègre le coût du foncier et celui des aménagements, le coût de construction qui dépend en partie du cahier des charges de l’aménageur, et enfin les prix du marché pour les acquéreurs. De plus en plus d’aménageurs tendent à encadrer à la fois les charges foncières et les prix de vente, ce qui est une bonne chose. Sauf que l’équation n’a pas forcément de solution : le moment de vérité est en effet celui où l’on s’aperçoit que le projet ne pourra pas tenir ses promesses, car elles sont trop coûteuses.

Est-ce donc si difficile d’appréhender la réalité des coûts en amont ?
Claire Schorter. Le problème vient surtout de ce qu’on ne l’interroge pas assez. Les coûts de l’aménagement sont connus et en général maîtrisés. Ils sont contre-balancés dans le bilan d’aménagement par les recettes en charge foncière, qui dépendent de la densité. Ce levier a des limites "politiquement acceptables" évidentes et, dès lors que le projet a été publié et concerté, il n’est plus question de densifier. Les prix de vente aux acquéreurs étant fixés sinon par l’aménageur, du moins par le marché, le coût de construction devient forcément la variable d’ajustement.

Laurent Escobar. Il faut bien avoir conscience que les vrais coûts de construction des bâtiments ne sont souvent connus qu’au stade du permis de construire, au moment où les promoteurs et leurs maîtres d’œuvre consultent effectivement leurs entreprises. Cela s’explique par le caractère unique des projets immobiliers dans les grandes opérations métropolitaines dont nous parlons ici : ce sont aujourd’hui presque toujours des prototypes dont il impossible d’évaluer précisément le coût par des ratios a priori.

Pour éviter les déconvenues, les aménageurs doivent apprendre à connaître les réalités de la construction. C’est à cela que nous travaillons avec certains de nos clients. Nous les aidons à constituer des référentiels qui permettront d’approcher les coûts en tenant compte de trois déterminants : les prescriptions urbaines (formes, écriture architecturale, typologies, orientations, système constructif, stationnement, performance énergétique), le mode de passation des marchés de travaux et la durée de gestation des projets.

L’objectif, c’est de ne signer les promesses de cession foncière qu’après avoir correctement fixé les attentes en termes de charge foncière, de coût de construction et de prix de sortie, en s’assurant de la cohérence interne du projet.

Selon vous, la diversité des programmes et des formes urbaines apporte une double garantie de qualité et de maîtrise des coûts : pourquoi ?
Claire Schorter. Qui a envie de vivre dans une ville standardisée où tous les logements, par conséquent les habitants, se ressemblent ? C’est une ville ennuyeuse, mais aussi très peu durable. Une même génération va s’installer, vieillir ; les écoles vont se remplir puis se vider, les constructions se dégrader en même temps et peiner à se renouveler si ce sont des macro-lots. Nous tâchons de dessiner des quartiers qui offrent des "grains" variés : du logement collectif à la maison de ville, un mélange d’activités et de logements, et surtout un parcellaire fin qui rend la ville plus facilement évolutive sur le long terme. Cette diversité est synonyme de vie, et elle offre des possibilités très intéressantes de maîtrise des coûts, dès lors que l’on travaille à une échelle qui permet de faire jouer des péréquations et des mutualisations.

Laurent Escobar. La diversité programmatique fine est le meilleur moyen de répondre à la demande du marché et ainsi de diminuer les risques pour les opérateurs comme pour l’aménageur. Le ménage standard n’existe pas. Ce qui existe, c’est un grand nombre de demandes résidentielles résultant de la combinaison de facteurs tels que l’âge, la taille des ménages, les revenus, la situation patrimoniale, les modes de vie ou de travail… Plus l’offre sera diverse, plus le marché sera ouvert et mieux les logements se vendront. À condition bien sûr que les prix le permettent, ce qui se joue parfois à quelques dizaines d’euros de coût de construction par m² près. D’où l’intérêt de travailler très finement les péréquations entre les programmes.

Programmation, formes urbaines et réalisation sont interdépendantes : comment les rendre cohérentes dans le bon sens ?
Laurent Escobar. Un projet urbain commence par la proposition d’un urbaniste en réponse à une commande politique. Il ou elle y met de l’intelligence, de l’intuition et une ambition qualitative, dans un dialogue étroit avec l’aménageur. À partir de cette première réponse, la suite va consister à imaginer des variantes, c’est-à-dire régler judicieusement l’ensemble des curseurs disponibles dans la programmation, les formes et les prescriptions urbaines, et enfin dans la configuration des lots de charge foncière qui oriente elle-même la méthode de consultation des opérateurs immobiliers (ou inversement).

Chaque mouvement de curseur ayant une incidence économique, il est indispensable que l’urbaniste et l’aménageur travaillent en parfaite connaissance des conséquences de leurs choix, ne serait-ce que pour éviter les impasses prévisibles. C’est pour cela que nous réfléchissons, par exemple, à un outil permettant de mettre un coût en face de chaque prescription figurant sur les fiches de lot. Et nous observons que le cumul des prescriptions urbaines sur le coût de construction peut aller jusqu’à renchérir de 300  €/m² le coût considéré comme standard par les opérateurs.

Axonométrie du Bloc A, quartier République - Claire Schorter urbaniste, AJOA paysagistes mandataires > Voir les informations sur l'attribution des premiers marchés dans le bloc A du quartier République dans l'Île de Nantes

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Claire Schorter. Cela peut même aller jusqu’à 500 €/m² dans le cas des bâtiments bas carbone ou de la construction bois ! Cela étant, j’adhère totalement à l’idée d’un réglage fin à trouver pour concilier forme urbaine, ambitions environnementales et programmation dans une économie générale de projet robuste, et au fait que le mode de commercialisation des charges foncières va orienter le projet – par exemple vers ce que j’appelle “la ville par gros morceaux” – ou au contraire lui donner plus de liberté, de résilience et de flexibilité comme la ville ancienne dont nous héritons et qui continue d’évoluer.

Sur l’Île de Nantes, dans le quartier République sur lequel nous travaillons avec l’agence Osty paysagistes, nous avons adopté une trame d’îlots de 120 x 120 m et conçu les blocs comme des unités de foisonnement (espaces publics, parkings, pleine terre, installations énergétiques…) entretenant des relations de voisinage les uns avec les autres et emboîtés dans l’échelle supérieure du quartier. Chaque bloc fait l’objet de 5 ou 6 opérations distinctes, elles-mêmes redécoupées en plusieurs parcelles.

Une grande diversité typo-morphologique et programmatique en découle, avec un réglage fin des péréquations entre lots : ceux qui portent le parking commun, les maisons de ville aux constructions plus légères… Cela ne serait pas possible sans le choix parfaitement assumé par l’aménageur, la Samoa, de renoncer à la facilité des macro-lots pour gérer elle-même toutes les interfaces. Il n’y a pas d’autre solution pour obtenir ce “grain” très fin qui fait la qualité de la ville.