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Venise 2025 : And Studio remporte le Grand Prix Afex 2025 pour un projet d'une grande légèreté posé sur les collines du Sichuan
Alexandre Excoffon, envoyé spécial
Le paysage sort à nouveau grand vainqueur du Grand Prix Afex, l'édition 2025 récompensant un projet architectural ancré dans son site et dans la culture locale. Duccio Cardelli et Ning Wang sont à l'origine de ce geste - une oie sauvage prenant son envol - célébrant une symbiose nouvelle entre la ville et la nature.
Ning Wang et Duccio Cardelli, architectes associés, fondateurs d'And Studio, ont remporté le Grand Prix Afex 2025 pour un centre culturel d'une grande élégance, construit à Chengdu, en Chine © A.E.
Duccio Cardelli et Ning Wang, les deux associés fondateurs d'And Studio, ont reçu avec émotion, jeudi 8 mai, jour de l'ouverture de la 19ème Biennale d'architecture, le Grand Prix Afex 2025. Remis sur la scène du Teatrino di Palazzo Grassi, à Venise, par l'association des Architectes français à l'export, ce trophée récompense l'excellence d'un projet réalisé à l'international par des architectes français. Si l'édition 2023 avait pour la première fois récompensé un projet paysager - la requalification, imaginée par Michèle & Miquel, d'une ancienne voie ferroviaire mettant en liaison d'anciennes friches industrielles sur l'île de Taiwan - c'est cette fois un projet architectural célébrant, voire sanctuarisant le paysage dans lequel il s'inscrit, qui est mis à l'honneur.
Les nombreux lauréats des prix Afex, réunis, jeudi 8 mai, sur la scène du Teatrino di Palazzo Grassi, à Venise, en marge de la 19ème Biennale d'architecture © A.E.
"C'est un prix qui compte beaucoup pour nous", nous confiait Duccio Cardelli à l'issue de la cérémonie. "C'est un jury de très haut niveau, composé en grande partie d'architectes, et être jugé par des architectes sur un travail d'architecture est évidemment gratifiant". Ning Wang se dit lui aussi "touché" de la reconnaissance de ses pairs et voit dans ce prix "une confirmation de notre méthodologie d'approche, qui nous encourage pour les projets futurs. Cela nous donne plus de confiance en nous, nous confirme que nous ne nous sommes pas trompés de chemin et nous incite à continuer d'avoir le courage de nos idées et à nous battre pour nos valeurs fondamentales".
Le centre culturel de Tianfu, dans la périphérie de Chengdu, se veut un écho à la beauté du site. Léger et presque transparent, il réussit une symbiose idéale entre la ville et la nature © Arch-Exist Photography
Ces valeurs transparaissaient déjà dans les projets qu'And Studio avait soumis à l'appréciation du jury de l'Afex lors des éditions précédentes. L'agence, créée il y a une quinzaine d'années par ces deux "anciens" de l'atelier de Christian de Portzamparc, réalise en effet de nombreux projets à l'international, et notamment en Chine, où elle a ouvert une antenne à Shanghai. "Cela fait trois fois que nous concourrons au palmarès de l'Afex et tous nos projets ont une approche très similaire. C'est la reconnaissance d'une méthode de travail qui consiste à essayer de bien comprendre le contexte pour trouver une solution qui soit vraiment ancrée dans le site et dans la culture locale".
Le projet lauréat du Grand Prix Afex 2025 a été livré en 2023 dans la province du Sichuan et, plus précisément, à Chengdu, capitale régionale. Il s'agit d'un musée et centre culturel, qui va constituer la pièce maîtresse de la zone d'aménagement expérimentale de la ville nouvelle de Tianfu. L'opération, dont l'ampleur a récemment été revue à la baisse, pour mieux coller aux perspectives de croissance démographique de la Chine, désormais négatives, doit se déployer sur près de 670 ha, sous forme de "ville-parc". Le site est jalonné de champs, de forêts et de collines. Un territoire d'une grande richesse écologique qui sert de zone de refuge à de nombreux oiseaux migrateurs, notamment des oies sauvages.
Un bâtiment minimaliste et presque transparent © Arch-Exist Photography
C'est justement la qualité de ce site et la nécessité de s'y inscrire avec le plus de légèreté et de délicatesse possibles qui ont conduit les deux associés à réinterroger la question initiale et à formuler une réponse "un peu à côté de la plaque", comme l'évoquent Ning Wang et Duccio Cardelli.
Le premier explique qu'ils ont voulu "faire le minimum possible" pour ne pas défigurer le paysage, dans cette plaine entourée des montagnes tibétaines, où "les gens ont un rapport rare à la nature". D'où ce bâtiment surélevé et presque transparent qui abolit "les limites entre l'intérieur et l'extérieur".
Le second se félicite, qu'au terme de longues "conversations" avec la municipalité, les élus - et en particulier le maire de Chengdu qui a constitué leur principal soutien tout au long du projet - aient finalement décidé de ne plus construire autour du site. "On nous avait demandé de faire un projet très ancré au sol, qui annonce une densification future, mais en découvrant le site, nous avons proposé d'aller contre les recommandations initiales. C'est un site dont on s'est dit qu'il fallait le garder intact, pour l'agriculture, pour les gens et pour les animaux. C'était une sorte d'éclair, un moment où l'on s'est dit qu'on ne pouvait pas densifier ici. Comme la tendance démographique est à la baisse, la municipalité a finalement décidé de réduire le programme de la ZAC de moitié. Nous avons en quelque sorte accompagné ce changement de dynamique et de dédensification de la ville", raconte Duccio Cardelli.
"La seule volonté de ce bâtiment est de faire signe", explique Ning Wang, à travers cette façade qui symbolise l'envol d'une oie sauvage © Arch-Exist Photography
"Par principe, nous avons décidé de faire un bâtiment qui essaye d'occuper le moins possible le terrain, puisque c'est tellement beau à l'heure actuelle, poursuit Ning Wang. Dans l'architecture chinoise, dans la philosophie chinoise, on ne peut pas s'approprier l'espace, on peut seulement l'emprunter. On construit quelque chose de solide, mais on l'emprunte à la nature, à l'existant". Le résultat ? "La seule volonté de ce bâtiment est de faire signe, ce qui donne encore plus de valeur à l'ambition de protéger la nature", synthétise Ning Wang. Et ce signe prend la forme, en façade et en toiture, d'une oie sauvage déployant ses ailes.
Intérieur et extérieur se confondent © Arch-Exist Photography
D'une surface de plancher de 1 200 m² pour un coût total de 6 M€, le centre culturel de Tianfu a été construit à partir de matériaux locaux, notamment le verre, fabriqué dans une usine située à moins de 10 km. Celui-ci est utilisé en façade, sous la forme d'un mur-rideau en verre nervuré qui reflète la zone humide et invite le parc à l'intérieur du pavillon.
Une deuxième façade en bambou et acier filtre la lumière extérieure © Arch-Exist Photography
Autre ressource locale, le bambou, plante emblématique de cette contrée peuplée de pandas, mis à contribution pour confectionner, selon les techniques ancestrales du Sichuan, une deuxième façade qui filtre la lumière extérieure. Le RDC en colonnade et les toits en saillie ouvrent les perspectives sur le grand paysage.
Les toits en saillie invitent à la promenade © Arch-Exist Photography
La triple culture d'And Studio, entre influences italienne, chinoise et française, a formé le creuset de leur pratique, où une attention particulière est portée à "la diversité et la complexité" des interprétations, un thème qui résonne avec celui de la Biennale 2025, où l'intelligence, notamment naturelle et collective, est sommée de préserver le monde. "Notre métier va devenir une forme de connexion entre tous les métiers. Comprendre la technologie, les enjeux climatiques et politiques, ou encore économiques, c'est comme ça que l'on va pouvoir enrichir l'architecture en elle-même et donner des réponses plus appropriées", conclut Duccio Cardelli.
Mentions au Palmarès du Grand Prix AFEX 2025 (par ordre alphabétique)
- And Studio, Centre culturel, Chengdu, Chine / Grand Prix AFEX2025
- AREP, Pôle d'échange multimodal, Shenzhen, Chine
- Bechu & Associés, Institut Africain de Recherche en Agriculture Durable, Laâyoune
- Christophe Rousselle Architecte, Logements, Santiago, Chili
- Gaëtan Le Penhuel architectes & associés, Maison individuelle, Noto, Italie / Prix spécial du Jury
- Gilles Perraudin, Bureau et résidence, Djilor Djidiack, Sénégal
- Marc Held Architecte & Angele Keserwany, Ecole maternelle Samba Dia, Sénégal
- Mathieu Forest Architectes & Zone of Utopia, Centre de dégustation et hôtel, Luzhou, Chine
- Michel Remon & Associés - Alexis Peyer, Centre de nanotechnologie universitaire, Tel-Aviv, Israël
- Think Tank, Grand Marché Central, Kinshasa, Congo