Acteurs
Fadia Karam : "Nous ne baissons pas les bras. En tant qu'acteurs de la ville, aménageurs, constructeurs, promoteurs, notre métier c'est de faire"
Alexandre Excoffon
Dans un contexte de crises multiples, qui peuvent tétaniser les acteurs de la ville, la directrice générale d'Espaces Ferroviaires rappelle l'urgence de faire, de continuer d'aménager et de construire pour répondre aux besoins essentiels des territoires. Quitte à bousculer les modèles de l'aménagement, réinterroger le rôle des opérateurs et repenser en profondeur les modes de fabrique des projets urbains. Un plaidoyer pour une ville durable et désirable qui aura sa place lors des prochains Entretiens du Cadre de Ville, le 9 octobre à la Maison de la Chimie à Paris.
Fadia Karam, directrice général d'Espaces Ferroviaires © Crédit photo Pierre Chiquelin
Propos recueillis par Alexandre Excoffon
Dans le contexte de crise multiple qui impacte les acteurs des projets urbains, le risque principal est-il de ne pas faire, de renoncer à aménager et à construire ?
Nous ne baissons pas les bras. En tant qu'acteurs de la ville, aménageurs, constructeurs, promoteurs, notre métier c'est de faire. Il y a des périodes plus complexes, comme celle que l'on traverse, parce qu'il y a une crise de l'offre et de la demande. De l'offre, parce que les conditions de développement des projets deviennent complexes avec l'augmentation des taux. Et de la demande, parce qu'il y a des taux très élevés. Résultat, les projets ne se concrétisent pas toujours, faute de rentabilité et de capacité de financement des investisseurs privés.
Mais notre rôle est de construire, parce que nous sommes face à une problématique de société majeure qui est la crise du logement. Côté positif de la crise, on en revient aux fondamentaux, à la nécessité de mettre l'accent sur le logement et de proposer une offre à la hauteur de l'attente. Je rappelle qu'il y a 4 millions de Français qui sont mal logés, 2,8 millions de personnes qui sont en attente de logement social, le tout dans un marché qui ne permet pas, avec les taux élevés, de créer une facilité, une fluidité et une solvabilité des revenus moyens.
Donc, on construit peu depuis 2022, même si on est en légère progression sur la première partie de l'année 2025, mais ça reste largement insuffisant, parce que le besoin globalement en France, c'est 518 000 logements à construire chaque année d'ici 2040, dont 38% de logements sociaux. Ceci pour répondre à des besoins multiples : mal logement, croissance de la population et des flux migratoires, maintien d'une forme de fluidité du marché, relogement des habitants le temps de réaliser les opérations de rénovation énergétique... Ce sont des fondamentaux de la structuration de notre société qui ne trouvent pas de réponses aujourd'hui. On ne peut donc pas baisser les bras, il faut construire du logement et le challenge est très important.
Comment produire plus de logement social et avec quel modèle économique ?
Il faut accélérer la production de logements sociaux, parce que la demande explose. C'est un sujet de société, ce n'est pas un sujet d'économie. Oui, nous avons un problème de modèle financier. Pour les logements sociaux, la principale difficulté est la rareté du foncier, puisque ce sont des logements qui sont subventionnés, et c'est là que nous sommes – la SNCF, plus largement, Espaces Ferroviaires et ICF Habitat, plus spécifiquement - un levier de production.
Depuis 2014, le groupe SNCF a signé des accords avec l'État, via SNCF Immobilier, qui actent notre engagement à mobiliser le foncier pour produire du logement social. Nous sommes quasiment à 40% de production de logements dans le foncier SNCF mobilisé sur l'ensemble du territoire national et les opérations d'Espaces Ferroviaires. Ce qui a quasiment permis le développement de 4 500 logements par an, dont 40% de logements sociaux. C'est assez important.
Nous sommes donc un bon élève et un grand fournisseur au regard de notre capacité, et j'appelle les propriétaires fonciers institutionnels, publics comme privés, à commencer à travailler, à explorer ce champ de mise à disposition de leurs fonciers pour produire du logement, et particulièrement du logement social.
La production de logement libre s'est effondrée depuis trois ans. Comment relancer la machine et quelle peut être la contribution d'Espaces Ferroviaires en la matière ?
Pour le logement libre, c'est un peu plus compliqué, les quelques frémissements du marché sont principalement portés par des opérateurs d’envergure, sur le résidentiel géré, qui trouvent une rentabilité dans ce modèle. Sur le résidentiel libre, les investisseurs restent prudents sur les acquisitions en bloc, dans un contexte de taux de financement élevé qui limite la capacité à concilier rentabilité et prix acceptables. Les promoteurs sont dans une situation complexe, les acheteurs particuliers éprouvent toujours des difficultés à se financer, et les investisseurs attendent des décotes qui ne permettent pas de rentabiliser leur modèle.
Nous espérons beaucoup qu'avec les annonces de la ministre du Logement, on puisse faire plus et faire plus vite. Je pense notamment au statut du bailleur privé, à l'extension du prêt du taux zéro, à la simplification des règles d'urbanisme et au fait de réfléchir à des modalités juridiques un peu plus souples, comme le permis de construire à usages multiples, qui vont très certainement être des accélérateurs.
Nous regardons ça avec la volonté d'être contributeurs, en particulier Espaces Ferroviaires, qui est le bras armé de la SNCF pour l'aménagement et le développement immobilier. Nous travaillons sur 110 hectares de fonciers ferroviaires pour leur redonner vie et les ancrer dans le territoire. Nous avons des tailles d'opérations qui permettent de raisonner en volume et puis ce sont des quartiers qui sont dans les grandes métropoles, donc on est dans une logique 100% ZAN, dans du recyclage foncier, avec la volonté de créer du confort mais aussi de la biodiversité, le tout sur des sites qui sont connectés à des moyens de transport.
C'est une mission d'intérêt général qu'il faut continuer à mener. Pour y parvenir, il faudra construire des modèles nouveaux, et pas uniquement dans le logement social et le logement libre. L'idée est de travailler avec les investisseurs, sur le locatif libre et le locatif intermédiaire, parce que c'est une façon de fluidifier le parcours résidentiel, mais aussi de développer l'offre de BRS avec les OFS. Ce sont les deux axes sur lesquels je vais orienter massivement le travail dans les années à venir, pour qu'on puisse répondre aux besoins des jeunes salariés et des cadres de la classe moyenne parce que ce sont eux qui font la vitalité des centres urbains.
Qu'en est-il du bureau ? Le marché est en suroffre et la vacance se développe de façon inquiétante. Cela reste pourtant une part importante de l'offre développée par Espaces Ferroviaires sur ses opérations. Le tertiaire a-t-il encore un avenir ?
En matière de bureau, il y a eu une offre très massive qui a été développée dans les dernières années, sans beaucoup de sélectivité. On peut se demander s'il y a encore un avenir au bureau et si les opérateurs se projettent toujours sur ce marché. Je pense toutefois qu'aujourd'hui tout le monde convient que le bureau reste un lieu d'excellence pour créer de la valeur économique et sociale, ou encore créer l'apprentissage pour le collectif salarié. Nous, Espaces Ferroviaires, sommes convaincus de la nécessité de continuer à créer du bureau neuf pour pouvoir accompagner l'évolution culturelle du travail, mais en assurant les inconditionnels, c'est-à-dire des bâtiments intelligents, plus verts, multiserviciels, performants sur le plan énergétique, en lien avec leur environnement et bien localisés, la qualité de desserte restant le critère numéro 1 pour cette valeur financière.
C'est le cœur de notre offre puisque nous travaillons à l'échelle du quartier. Nous créons des quartiers proches des gares, bien desservis, des quartiers bas carbone, donc un environnement urbain confortable, agréable, avec de la biodiversité, des offres de services de proximité et des constructions qui sont de haute qualité environnementale peu consommatrices et intelligentes, autorisant une grande flexibilité. Nous sommes dans cette sélectivité et dans la poursuite de création du bureaux neufs avec une valeur d'usage au-delà de la valeur financière. C'est la qualité de la conception de l'immeuble et ses capacités d'évolutions futures qui vont être le garant de sa valeur d'usage et, au-delà, de sa valeur financière.
Vous êtes aménageur et promoteur. Comment vous placez-vous sur la chaîne de valeur et comment voyez-vous les autres acteurs évoluer dans leur positionnement ?
Il est important que les aménageurs, et tous les opérateurs d'ailleurs, passent à une démarche plus intégrée de la chaîne de valeur. Quand nous pensons une opération, nous raisonnons global, parce que le saucissonnage par case n'est plus de mise. Avec toutes les contraintes de coûts, avec la RE2020 qui génère de nouveaux impératifs, avec l'ambition que l'on se donne aussi, tout le monde est en surcoût.
Les promoteurs ont commencé à faire leur mutation pour pouvoir trouver leur nouveau modèle. Ils vont un peu plus loin dans la chaîne de valeur, ils se positionnent plus longtemps en mini-investisseurs. Il est important que l'on gagne tous en agilité. Il faut flouter cette frontière entre les métiers de l'aménagement, du développement, de l'investissement, et repenser globalement l'ingénierie financière de nos opérations dans des modèles plus contractuels, un peu à l'image de ce qui se passe dans les pays de l'Europe du Nord, qui sont dans des partenariats gagnants-gagnants. Quand on fait de l'aménagement, on travaille dans la durée et le promoteur peut aussi passer à un raisonnement de long terme. On ne peut plus se contenter de mettre de l'argent pour avoir une rentabilité immédiate. Donc oui, il y a plus de prise de risque, mais il y a aussi plus de responsabilisation.
Aujourd'hui, les investisseurs n'ont pas totalement fait cette mutation. Ils sont encore dans un raisonnement court-termiste, même s'ils ont commencé à faire une première mutation, en ne se positionnant plus exclusivement sur des produits "purs". Ils n'exigent plus du 100% bureaux, ils sont désormais dans la diversification de leur investissement, par sécurité, en se disant qu'une partie de programme peut être plus risquée à un temps T mais sera plus soutenable dans un deuxième temps. C'est un début de réflexion chez les investisseurs privés. Tous ne voient plus les conditions environnementales comme étant des surcoûts, certains sont convaincus des bénéfices à long terme de leur positionnement d'investissement vert. Donc, la mutation s'effectue, mais il faut un peu de temps.
Et n'oublions pas les collectivités locales, qui ont de moins en moins de moyens et qui font aussi leur mutation. Elles ne sont plus dans le descendant, elles sont plus dans le dialogue et la compréhension des enjeux économiques des opérateurs, pour trouver des solutions d'ajustements de programme, de conditions de constructibilité, de conditions connexes, comme le stationnement, donc il y a du dialogue qui s'instaure.
Pour réussir cette étape de mutation globale des acteurs de la ville, je considère qu'il est avant tout nécessaire de créer une relation de confiance et de transparence. Le prix peut être une solution, mais pas nécessairement la seule, il y a aussi les modalités de paiement, le temps que l'on accorde, l'accompagnement. Il faut raisonner gagnant-gagnant, chacun a un effort à faire. Et il y a une autre mutation à conduire, surtout les promoteurs, pour proposer une offre qui répond à la demande, surtout en matière de logement. On ne fait plus des logements pour se faire plaisir mais par rapport à ce qu'attend un Français d'un logement, ce qui veut dire travailler sur le confort, l'intimité, la générosité des espaces extérieurs, le côté peu consommateur, l'énergie, la qualité sonore, la santé… Tous ces éléments nous amènent à réfléchir de façon très optimum chaque mètre carré et éviter la gabegie, aussi bien des mètres carrés du foncier que des mètres carrés dans la construction. Nous sommes donc dans une stratégie d'optimisation massifiée, d'adéquation avec la demande et d'ouverture au métier de l'autre dans une configuration de partenariat gagnant-gagnant.
Vous évoquiez plus tôt la rareté du foncier et c'est bien le nerf de la guerre. Comment mobilisez-vous le foncier SNCF pour développer de nouveaux projets d'aménagement ?
La SNCF a près de 2 000 hectares de terrain valorisables et, à l'intérieur du groupe, SNCF immobilier et Espaces Ferroviaires jouent des rôles complémentaires. SNCF immobilier agit pour le compte des propriétaires fonciers de la SNCF afin de valoriser leurs actifs, de les gérer et de les optimiser. Dans ce cadre-là, dans ma fonction de directrice grands projets et valorisation au sein de SNCF Immobilier, nous bâtissons les partenariats avec les collectivités pour permettre l'évolution de ces fonciers et les intégrer dans la ville, parce qu'aujourd'hui ils sont à utilité publique ferroviaire dans les documents d'urbanisme. Ce qui nous permet de donner des droits à construire à ces fonciers et de commencer à préfigurer leur devenir urbain.
SNCF Immobilier cède donc des fonciers à des collectivités pour qu'elles réalisent leur propre projet ou en cède à Espaces Ferroviaires pour conduire des projets de développement et de transformation urbaine en tant qu’aménageur et développeur. Il y a donc ces deux filets.
Le deuxième canal, ce sont donc les opérations d'aménagement que mène Espaces Ferroviaire, représentant environ une trentaine de sites, dans les grandes agglomérations. Ce sont des fonciers sur lesquels nous œuvrons avec les collectivités locales, en concertation avec les riverains, que nous associons à chaque étape, et en associant également des experts : maitres d’œuvre, promoteurs, bailleurs sociaux, investisseurs et utilisateurs.
Quelles sont vos lignes directrices dans la conception des nouveaux quartiers ?
Nous achetons donc les fonciers et nous les aménageons pour générer des quartiers bas carbone et créer une urbanité désirable en désimperméabilisant les sols, en recréant de la biodiversité, en mixant les fonctions urbaines (résidentiel, économie, services…), en mettant des services de proximité et en créant des services urbains qui font que l'on intensifie l'usage dans ces quartiers. L'enjeu est qu'ils deviennent vraiment des locomotives urbaines et des réservoirs d'attractivité permettant au territoire de rayonner au-delà du site concerné, parce qu'ils vont apporter toutes ces aménités et externalités positives - équipements, parcs, services… - qui permettent d'enrichir un territoire élargi autour de l'opération.
Nous défendons une ambition de sobriété foncière : nous utilisons des terrains qui sont artificialisés pour les reconnecter au territoire et nous faisons preuve de sobriété urbaine en réalisant des quartiers de haute qualité environnementale et de haute qualité sociale. Je dis toujours que nous faisons de la réparation urbaine et sociale et cela passe par la mixité. Nous nous attachons aussi bien à faire de la mixité multigénérationnelle et multisociale, du logement le plus social au libre, que de la mixité fonctionnelle. 50% des programmes en général sont affectés au logement dans nos opérations. C’est ce qui fait la vitalité du quartier.
L'adaptation des nouveaux quartiers au changement climatique est une autre nécessité. Comment intégrez-vous cet enjeu dans vos projets ?
En matière d'adaptation, nous créons les conditions pour créer des quartiers plus résilients. Nous prenons en compte les continuités urbaines, nous désartificialisons et désimperméabilisons les sols pour favoriser l'infiltration des eaux, ce qui permet de créer une capacité importante de gestion des montées d'eau. Près de 50% des emprises foncières de chaque opération sont désimperméabilisés, ce qui est énorme. Le développement d’une biodiversité riche permet d’atténuer les îlots de chaleur en créant des îlots de fraicheur, et baisser la température à l'échelle du quartier. Nous travaillons aussi beaucoup sur les questions sonores et le vent avec une disposition urbaine bioclimatique pour faire en sorte que l'espace public commun devienne un espace confortable.
Nous travaillons aussi à l'échelle du logement. Nous avons par exemple instauré le référentiel "Immeuble de demain", que nous avons mis en place avec le CSTB et l'IFPEB, avec la conviction de sortir du seul critère environnemental pour aller chercher le confort d'usage, dont les critères pèsent entre 40 et 50% dans la notation de performance. Tous les logements sont traversants pour favoriser la ventilation et tous disposent d'une surface extérieure pour offrir un espace de rafraîchissement. Les immeubles ont des cœurs d'îlots végétalisés, à l'abri du soleil, et nous connectons nos quartiers à des boucles de chaleur existantes ou en développement, pour réduire les consommations énergétiques au sein des logements. Nous travaillons à la grande échelle et à la petite échelle pour créer les conditions de confort face à la hausse des températures ou au risque d'inondabilité des sites.
Parlons innovation. Quelles sont les pistes dans ce domaine ? Je pense par exemple à la réversibilité des bâtiments neufs, mais aussi à la valorisation de l'existant, à travers la transformation des bureaux en logements. Quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?
Dans les fonciers sur lesquels Espaces Ferroviaires intervient, il y a malheureusement très peu d'immeubles tertiaires avec un potentiel de réversibilité. Nous avons beaucoup de terrains avec des bâtiments industriels, dont certains se prêtent parfois à une évolution, mais leur morphologie n'est pas toujours adaptée pour faire du logement. Néanmoins, à chaque fois que c'est possible, nous sommes dans cette stratégie de pouvoir travailler les actifs tertiaires en reconversion ou en neuf notamment pour proposer une offre de qualité tertiaire neuve aux utilisateurs du groupe - en lien avec les besoins des schémas directeurs tertiaires, ce qui permet de repositionner les effectifs SNCF - et transformer les actifs existants.
En revanche, quand nous sommes dans la production neuve, nous anticipons les possibilités d'évolution du programme. C'est par exemple le cas à Toulouse, avec le programme 1pulsion. Le volet tertiaire représente 13 000 m² et il y a 260 places de stationnement qui répondent aujourd'hui à un besoin réel. Mais demain, avec la proximité de la gare, les pratiques peuvent changer et ce volume peut être complètement démonté pour être transformé en autre chose. Cela pourrait être du logement ou autre chose, peut-être une résidence étudiante ou pour jeunes travailleurs. Les projets de bureaux que l'on construit intègrent cette dimension d'évolutivité ou de réversibilité dès la conception pour pouvoir donner le moyen à l'investisseur final d'anticiper cette deuxième vie du bâtiment dans le temps.
Les outils juridiques évoluent. Le Parlement a par exemple adopté cet été la loi Daubié qui vise justement faciliter la transformation des bureaux en logements et d'autres mesures sont à l'étude. Avez-vous des besoins spécifiques dans ce domaine ?
Nous avons un sujet important que nous avons déjà évoqué avec les services des ministères il y a quelques années, quand ils ont mis en place un groupe de travail sur les sujets de l'aménagement. Il s'agit de créer une dérogation « bonus de constructibilité » à l’échelle des opérations d’aménagement incitant aux projets vertueux, un amendement du corpus législatif nécessaire, avec l’accord des collectivités locales.
Au moment de l’élaboration d’un PLU ou de sa révision, les outils nécessaires pour majorer la constructibilité pour une opération d’aménagement vertueuse existent (ndlr : OAP, secteur particulier, règles dérogatoires dans les conditions des articles L. 151-28 c. urb. R. 151-37 du Code de l’urbanisme).
Toutefois ces documents s’inscrivent dans un temps long et les nouvelles opérations d’aménagement peuvent avoir besoin de déroger aux règles du PLU. Le Code de l’urbanisme, par les articles L.152-4 à L.152-6-4, prévoit plusieurs dispositifs permettant de déroger aux règles des PLU pour les adapter aux enjeux actuels : transition écologique, production de logements et revitalisation des territoires. Ces dispositions ne concernent que les caractéristiques techniques des constructions, en lien principalement avec la RE 2020. Ces dérogations sont mises en œuvre au moment de la demande d’autorisation de construire et, partant, à l’échelle d’un projet immobilier et de l’unité foncière.
Or, ce que nous faisons, ce sont des quartiers vertueux, qui nécessitent des investissements énormes. Nous le faisons parce que nous sommes convaincus que cette sobriété foncière et cet investissement - créer des boucles de chaleur avec 50% d'énergies renouvelables ou désimperméabiliser 50% du foncier, avec ce que cela suppose en matière de dépollution et de traitement des sols – permet de créer des quartiers extrêmement forts et à impact positif sur le territoire.
Ces éléments ont une incidence importante sur le bilan de l’opération qui supporte le cout de la décarbonation dès lors qu’elle affecte sa densité, (les espaces verts viennent limiter l’emprise au sol disponible pour les constructions), ou génère des surcoûts en matière de travaux (traitement et amélioration de la qualité des sols, matériaux décarbonés).
La prise en compte des externalités positives des projets d’aménagement suppose donc d’avoir une vision plus globale. Il serait utile de mettre en place un système de dérogation dans le cadre de la mise en place d’une opération d’aménagement qui répondrait à des critères environnementaux et sociaux vertueux permettant de majorer la constructibilité à l’échelle de l’opération.
Bien sûr, cela suppose qu'on l'anticipe quand on dépose une autorisation d'aménagement, qu'on puisse intégrer cette possibilité, et que la ville accepte, si l'on coche toutes les cases et qu'on est vertueux pour son territoire, de nous accorder ce bonus de constructibilité. Entre le moment où l'on commence une opération et celui où elle se termine, il se passe dix ans. L'économie n'est plus la même et on peut avoir besoin d'une soupape de respiration pour trouver notre équilibre. Je pense que c'est du pragmatisme, une façon d'intégrer ce mode d'accord gagnant-gagnant avec les collectivités, qui plus est rapidement opérationnel puisqu'il ne nécessitera pas de passer par des révisions ou adaptations des documents d’urbanisme.
Vous avez déjà lancé des démarches de ce type, par exemple en évaluant la valeur ajoutée de certaines opérations sur un périmètre élargi. Je pense notamment au quartier Hébert, dont vous avez tenté d'analyser les bénéfices pour le quartier environnant. Comment mesurer cette valeur verte pour l'intégrer dans un bilan final d'aménagement ?
Nous avons réalisé une étude avec l’appui de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) sur Paris Nord-Est, où nous avons trois opérations - Chapelle International, Hébert et Jardin des Mécanos - et où la SNCF a également cédé des fonciers à P&MA. Au total, nous avons 57 hectares de fonciers ferroviaires qui vont muter entre 2006 et 2035. L'étude a considéré le périmètre du projet Hébert, soit environ 5 hectares, et un périmètre élargi sur 1 kilomètre autour du site, soit à peu près 70 hectares. L'étude analyse quelles sont les bénéfices sur ces différents périmètres.
Ce qui en ressort, c'est que la SNCF a été fortement contributrice dans le maillage des espaces verts et dans l'offre d'espaces verts, parce que d'une part nous produisons dans le quartier proprement dit, mais nous reconstituons également des continuités urbaines qui sont très importantes pour la qualification des continuités vertes à l'échelle de Paris Nord-Est. Sur ce périmètre de 57 hectares, nous passons de 3 600 arbres à 8 000 arbres, dont 350 dans le projet Hébert. Nous avons aussi et surtout un impact sur le maintien de la dynamique de la population résidente, parce que si nous n'avions pas produit ce programme de logement, ce territoire aurait plutôt été en déclin. L'évolution démographique était négative et ce secteur était donc en perte d'attractivité.
Au-delà du fait que l'on redonne des parcours sportifs, des espaces verts ou que l'on finance une école, nous recréons donc un équilibre et une dynamique territoriale au lieu d’une perte d'attractivité démographique et sociétale. C'est dans ce sens que nous accompagnons les politiques locales, les évolutions démographiques et que nous rayonnons sur le territoire.
Une dernière question sur l'importance que vous accordez au maintien et à la création du lien social dans vos opérations. Quelle place lui donnez-vous ?
Elle est essentielle, parce que c'est là où notre action prend du sens et qu'elle sera adoptée par les riverains et les élus. Cela renforce aussi les convictions des équipes qui travaillent sur ces projets, dans une feuille de route qui n'est pas une obligation mais qui devient une conviction, parce que la réussite des projets en dépend. Prendre soin du bien-être des gens, le bien-être physique, mais aussi le bien-être mental est important. Du moment où ils se sentent accueillis, en connexion, ils trouvent une stabilité qui associe intimité et partage. Ils trouvent leur accroche au lieu au travers de l’interrelationnel qui génère la sérénité et l’équilibre à l'échelle de l'immeuble - le fait d'avoir des parties communes bien conçues, des jardins partagés… - comme à l'échelle du quartier. C'est pour cela que nous travaillons beaucoup sur les programmes vitaux du rez-de-chaussée, le serviciel, l’intégration d’une maison de santé par exemple - qui peut créer du confort, de l'assurance et de la sécurité qui fait que l'on a envie d'y rester. C'est le meilleur indicateur de la qualité de vie et plus on réussit cela à l'échelle du quartier, plus celui-ci va devenir attrayant et servant dans un territoire plus élargi.
Ndlr : Fadia Karam participera à la table ronde d'ouverture des prochains Entretiens du Cadre de Ville. Rendez-vous le 9 octobre à la Maison de la Chimie à Paris. Pour plus d'information, suivez le lien ci-dessous :

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